Louis Rollin, la Polynésie, la guerre

Parmi les personnalités qu’a connue la Polynésie française au XXe siècle, le docteur Louis Rollin s’impose comme une des plus notables. Chirurgien de formation, vétéran de la Grande Guerre, volontaire de la France Libre en 1940, Louis Rollin est particulièrement connu et apprécié dans l’archipel polynésien des Marquises en raison de son action pour y enrayer la mortalité infantile, à tel point que l’hôpital de l’île de Nuku Hiva porte aujourd’hui son nom. Pourtant, son nom dépasse rarement les frontières du territoire.
Ce billet vise ainsi rappeler brièvement sa vie et son parcours.

Source : blog Te Eo / Jacques Iakopo Pelleau
Les premières années et l’arrivée dans le Pacifique Sud
Louis Charles Frédéric Rollin naît dans le 12e arrondissement de Paris le 13 avril 1887. Entré à la faculté de médecine de Paris, son doctorat – qu’il débute en 1907 – est interrompu par la Grande Guerre. Il combat alors comme médecin auxiliaire sur la Marne, à Verdun, au Chemin des Dames, en Champagne et dans l’Oise, terminant la Grande Guerre avec une blessure et cinq citations (la sixième survenant en 1920 et accompagne l’attribution de la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur1). Il soutient sa thèse sur les plaies du diaphragme en médecine de guerre le 22 juillet 19192 et, un an plus tard, en juillet 1920, arrive en Polynésie française – alors nommée Établissements Français de l’Océanie (EFO). Louis Rollin s’installe alors à Makatea en qualité de médecin de la Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie.
Rollin reste trois ans à Makatea avant de rejoindre les îles Marquises en 1923, « quasi désert médical » pour reprendre les termes de Véronique Larcade qui lui a dédié une communication au colloque sur l’innovation médicale en novembre 20213. Plus encore, la courbe démographique des Marquises décroissait alors de façon inquiétante. Ayant identifié la cause du problème en la très forte mortalité infantile grâce à un minutieux dépouillement des actes d’état-civil4, le docteur Rollin s’attache alors à sensibiliser les jeunes mères à l’hygiène et à conduire de nombreuses tournées dans tout l’archipel5. Son entreprise fut couronnée de succès puisque lorsqu’il quitta les Marquises pour retrouver Tahiti en 1930, la courbe des naissances était repartie à la hausse, et la population de l’archipel doubla en l’espace d’une génération.
Patrick O’Reilly résume succinctement les années suivantes dans son Tahitiens : Répertoire biographique de la Polynésie Française en ces termes : « à partir de 1930, il sera succinctement médecin de l’administration, un an aux îles Sous-le-Vent, trois ans à Taravao, puis en résidence à Papeete avec la charge médicale des îles Australes. Un temps il sera en charge de la léproserie d’Orofara6. »
La Seconde Guerre mondiale et le ralliement des EFO à la France Libre viennent alors bousculer une vie en apparence paisible.
Louis Rollin, le Français Libre
Le 2 septembre 1940, les Établissements Français de l’Océanie rallient la France Libre, devenant une des toutes premières colonies de l’empire colonial français à le faire. Si cet événement est aujourd’hui bien connu et documenté7, le rôle et le parcours de Louis Rollin dans les Forces Françaises Libres l’est un peu moins, bien qu’il eût été une figure importante du Bataillon du Pacifique.
Âgé de 53 ans8, réserviste, Louis Rollin se porte malgré tout volontaire et signe un acte d’engagement dans les FFL le 13 janvier 1941. Promu médecin-capitaine le 15 avril, il rejoint le Corps Expéditionnaire du Pacifique (futur Bataillon du Pacifique) du capitaine Broche en tant que médecin et suit ensuite son unité jusqu’au Moyen-Orient : parti de Papeete le 21 avril 1941, il fait escale à Nouméa puis Sydney, débarque à Suez le 31 juillet 1941 et stationne en Palestine puis en Syrie.
C’est en Syrie justement qu’apparaissent ses premiers problèmes de santés, qui lui valent un séjour à l’hôpital de Damas. Son service dans l’armée n’en est pas interrompu pour autant puisqu’il continue à servir comme médecin militaire au Levant pendant plus de deux ans, d’abord comme médecin-chef du territoire Est Syrien puis à l’hôpital militaire de Damas. Il est finalement désigné pour continuer ses services en Océanie en décembre 1943 et promu médecin-commandant dans la foulée. Louis Rollin quitte alors le Moyen-Orient avec des appréciations très élogieuses à son actif et rentre à Tahiti le 23 août 1944.
Durant la guerre, Louis Rollin se fait remarquer tant par ses états de service que par sa fine connaissance des EFO, qu’il démontre en adressant au général de Gaulle un rapport détaillé sur sa situation politique en août 19429, qu’il complète par une annexe à cette note l’année suivante10.

Archives privées, fonds Rollin / reproduit sur le blog Te Eo
Après la guerre
À son retour en Polynésie, Louis Rollin retrouve l’administration et continue d’exercer au-delà de son départ à la retraite. En septembre 1966, il rencontre le général de Gaulle en visite officielle à Tahiti. Cependant, son état de santé se dégrade progressivement, jusqu’à son décès le 5 janvier 1972 à l’âge de 84 ans. Médaillé de la Résistance, Louis Rollin était également officier d’académie, Commandeur de la Légion d’Honneur11, Grand Officier de l’Ordre National du Mérite et titulaire des deux croix de guerre (14-18 et 39-45). Il laisse derrière lui plusieurs ouvrages et travaux scientifiques ainsi que des notes manuscrites dans lesquelles il raconte ses années de guerre.
Si Louis Rollin était « indéniablement […] partie prenante du système colonial alors en vigueur et dans le cadre des E.F.O. », comme le rappelle Véronique Larcade12 qui souligne notamment son usage fréquent de termes et de concepts pouvant aujourd’hui interpeler (tels que « race » ou « indigène13 »), celle-ci rappelle également et à très juste titre le contexte entourant l’emploi de ces termes et le fait que ces derniers étaient alors monnaie courante en contexte colonial, et en particulier à Tahiti et en Polynésie française. Malgré cela, le docteur Rollin est toujours évoqué comme étant une personnalité de premier plan en Polynésie française, où il est encore considéré comme “l’homme qui sauva les Marquisiens de l’extinction14“.

Cliché de l’auteur, 17 novembre 2021
Bibliographie
François Broche, Le bataillon des guitaristes, l’épopée inconnue des F.F.L. de Tahiti à Bir-Hakeim, 1940-1942, Paris, Fayard, 1970.
Francis Cheung, Tahiti et ses îles (1919-1945). Étude d’une société coloniale aux antipodes de sa métropole, Paris, L’Harmattan, 1998.
Véronique Dorbe-Larcade, « “Les femmes et les enfants d’abord” : Le Dr Louis Rollin aux îles Marquises (1923-1929) » dans Yannick Marec (dir.), L’innovation médicale et hospitalière. Hier, aujourd’hui, demain, Bordeaux, LEH Édition, 2023.
Dr Huck, « Nécrologie du Docteur Louis Rollin », Journal de la Société des Océanistes, 28-35, 1972, p. 175‑176.
Ismet Kurtovitch et Jean-Marc Regnault, « Les ralliements du Pacifique en 1940. Entre légende gaulliste, enjeux stratégiques mondiaux et rivalités Londres/Vichy. », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 49-4, 2002, p. 71‑90.
Claude Lestrade, « Quelques souvenirs de Tahiti entre 1942 et 1945 (1ère partie) », Journal de la Société des Océanistes, 94-1, 1992, p. 127‑142.
Jean-François Muracciole, Les Français libres : l’autre résistance, Paris, Tallandier, 2009.
Patrick O’Reilly, Tahitiens : répertoire biographique de la Polynésie Française, 2ᵉ éd., Paris, Musée de l’Homme, 1975.
Louis Rollin, Moeurs et coutumes des anciens Maoris des îles Marquises, Papeete, Stepolde, 1974.
Henri Weill, Tahiti, France libre : 2 septembre 1940, le ralliement des Établissements Français d’Océanie au général de Gaulle, Panazol, Lavauzelle, 2002.
Sitographie sélective
Jacques Iakopo Pelleau, « Hommage au docteur Louis Rollin, l’homme qui sauva les Marquisiens de l’extinction », Te Eo, 2016 (mis à jour en 2022)
Notice de Louis Rollin sur la liste Écochard
Sources
Service Historique de la Défense (Vincennes, France)
Dossier de carrière d’officier de Louis Rollin, GR 8 YE 74409.
Archives Nationales d’Outre-Mer (Aix-en-Provence, France)
Louis Rollin, “Note sur l’avenir politique de Tahiti et des Établissements Français de l’Océanie”, 20 août 1942, OCEA 153 dossier A243
Louis Rollin, “Annexe à la note du 20 août 1942 sur l’avenir politique de Tahiti et des Établissements Français de l’Océanie”, 1er août 1943, OCEA 153 dossier A243.
Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel (Papeete, Polynésie Française)
Fonds Jean-Christophe Shigetomi.
Notes
- Service Historique de la Défense (SHD), Vincennes, Dossier de carrière d’officier de Louis Rollin, GR 8 YE 74409. ↩︎
- SHD, Vincennes, Bulletin individuel de réception au doctorat contenu dans le dossier de carrière d’officier de Louis Rollin, GR 8 YE 74409. ↩︎
- Véronique Dorbe-Larcade, « “Les femmes et les enfants d’abord” : Le Dr Louis Rollin aux îles Marquises (1923-1929) », Actes du Colloque sur l’innovation médicale (Lille, novembre 2021), à paraître. ↩︎
- Francis Cheung, Tahiti et ses îles (1919-1945). Étude d’une société coloniale aux antipodes de sa métropole, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 353. ↩︎
- Patrick O’Reilly, Tahitiens : répertoire biographique de la Polynésie Française, 2ᵉ éd., Paris, Musée de l’Homme, 1975, p. 493. ↩︎
- Ibid. ↩︎
- Sur le ralliement des EFO à la France Libre, voir : Ismet Kurtovitch et Jean-Marc Regnault, « Les ralliements du Pacifique en 1940. Entre légende gaulliste, enjeux stratégiques mondiaux et rivalités Londres/Vichy. », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 49-4, 2002, p. 71‑90, et Henri Weill, Tahiti, France libre : 2 septembre 1940, le ralliement des Établissements Français d’Océanie au général de Gaulle, Panazol, Lavauzelle, 2002. ↩︎
- La moyenne d’âge des Forces Françaises Libres est de 25,4 ans (Jean-François Muracciole, Les Français libres : l’autre résistance, Paris, Tallandier, 2009, p. 65). ↩︎
- Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Louis Rollin, “Note sur l’avenir politique de Tahiti et des Établissements Français de l’Océanie”, 20 août 1942, OCEA 153 dossier A243. ↩︎
- Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Louis Rollin, “Annexe à la note du 20 août 1942 sur l’avenir politique de Tahiti et des Établissements Français de l’Océanie”, 1er août 1943, OCEA 153 dossier A243. ↩︎
- Base Léonore [en ligne], Dossier de décoré de Louis Rollin, consulté le 28 novembre 2022. https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr/ui/notice/327111 ↩︎
- Véronique Dorbe-Larcade, « “Les femmes et les enfants d’abord” : Le Dr Louis Rollin aux îles Marquises (1923-1929) », art. cit. ↩︎
- Ibid. ↩︎
- Jacques Iakopo Pelleau, “Hommage au docteur Louis Rollin (1887-1972)” [En ligne] Te Eo, 2016, consulté le 19 septembre 2024, http://www.te-eo.com/index.php/francais-menu/publications-perso/item/584-hommage-au-docteur-louis-rollin-1887-1972. ↩︎
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Yacine Benhalima (19 septembre 2024). Louis Rollin, la Polynésie, la guerre. La pirogue et le fusil. Consulté le 7 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12bsu
