Retour de Bora Bora : sur les traces des vestiges de la Seconde Guerre mondiale
Au début du mois de septembre 2022, alors à Tahiti depuis peu dans le cadre de ma thèse, je m’étais rendu quelques jours sur l’île de Bora Bora pour tenter une première approche d’exploration et de documentation des vestiges matériels de la Seconde Guerre mondiale. Ce court billet reprend ainsi un fil Twitter dans lequel je partageais ce que j’avais pu y recenser.
Un point histoire : Bora Bora, la France Libre et l’armée américaine
En septembre 1940, les Établissements Français d’Océanie (EFO) – actuelle Polynésie française – rallient la France Libre. L’île de Bora Bora, dans l’archipel des îles de la Société (plus précisément dans le groupement des îles Sous-le-Vent), attire rapidement l’intérêt des Américains qui souhaitent mettre sur pied une “chaîne d’aérodromes” qui seraient autant de points d’escales pour les bombardiers faisant la liaison entre la côte ouest américaine et Hawaii d’une part, et l’Australie et la Nouvelle-Zélande d’autre part. Bora Bora se trouvant au milieu de cette route, les Français libres et l’US Navy concluent un accord quelques semaines après Pearl Harbor pour l’établissement d’une base navale sur l’île. Les premiers navires arrivent en février 1942, et l’île est rapidement aménagée par les Construction Battalions (surnommés les “Seabees”).
Source : Naval History and Heritage Command, ref. 80-G-K-1117
Observations : ce qu’il reste de 1942 en 2022
1. Mémoires de la guerre
A la sortie du port, une plaque commémorative installée en 2022 rappelle la présence de l’armée américaine sur l’île de février 1942 jusqu’en 1946. L’association à l’origine de cette plaque, Mémoire Polynésienne, a également œuvré à la restauration des canons de l’époque encore présents sur l’île ainsi qu’à l’élaboration de fresques et de frises chronologiques, l’une à l’aéroport, l’autre dans le restaurant “Beach Club” à la pointe sud de l’île.
2. Alain Gerbault
Toujours du côté du port, non loin de cette plaque, à quelques mètres du quai, se trouve la tombe d’Alain Gerbault. Premier français à boucler un tour du monde à la voile en solitaire en 1929, il s’installe en Polynésie en 1933, et au moment du ralliement à la France Libre, il se range du côté de Vichy – semble-t-il plus par opposition à l’administration et à l’implication des insulaires dans la guerre que par réelle conviction. Expulsé de la colonie par les gaullistes, il met les voiles vers l’Indochine, qu’il n’atteindra jamais puisqu’il meurt de maladie à Dili (Timor Oriental) en décembre 1941. Son corps est ramené en 1947 par la Marine à Bora Bora, son ancien port d’attache, où il est enterré depuis.
3. Infrastructures : l’aéroport
L’aérodrome de Bora Bora fut une des toutes premières infrastructures construites par l’armée américaine en 1942, établi sur l’un des îlots entourant l’île principale et comptant alors deux pistes perpendiculaires. Premier aéroport construit en Polynésie, il fut reconverti dans les années 1950 en aéroport civil et commercial.
4. Infrastructures : le port
À l’arrivée des Américains en février 1942, la passe entre le large et le lagon (2nd plan) fut dynamitée pour laisser passer les navires de guerre. Les Seabees, bataillons de construction de la Navy, ouvrirent ensuite plusieurs chantiers : infrastructures, routes, et le port de commerce, toujours en activité, visible au 1er plan.
5. Armement
Enfin, des batteries d’artillerie furent installées aux quatre points cardinaux de l’île principale (ici au Nord), devant assurer la défense en cas d’attaque japonaise. Deux canons par batterie, blockhaus et hangars à munitions, invisibles depuis la mer. Les canons, construits en 1907, ont servi pendant la Grande Guerre, et ne servirent finalement pas puisqu’il n’y eut aucune attaque japonaise sur l’île. L’avancée japonaise fut stoppée par les batailles de Guadalcanal, de la mer de Corail et de Midway, puis le front s’éloigna progressivement des EFO et de Bora Bora.
6. Quatre-vingts ans plus tard
Durant la guerre, la présence américaine donna lieu à un certain nombre d’unions entre soldats américains et femmes polynésiennes, dont les enfants sont pour beaucoup encore présents sur l’île. Du point de vue mémoriel, cette présence américaine et ses vestiges font l’objet depuis quelques années d’une politique de réhabilitation – notamment sous l’impulsion de l’association Mémoire Polynésienne et le “Comité Bobcats”, à qui l’on doit notamment la plaque commémorative et les fresques présentées en 1. – et de développement touristique pour l’île de Bora Bora
Quelques ressources pour aller plus loin
Jean-Christophe Shigetomi, Bobcats. Les Américains à Bora Bora, 1942 – 1946, Papeete, ’Ura Tahiti, 2022.
Interview de Francis Sanford – représentant de l’administration de la France Libre à Bora Bora de 1942 à 1947 (futur maire de Faa’a et député sous la Ve République) – par Stan Wiesniewski réalisée en 1992, ICA / images d’archives de l’US Navy – à retrouver sur Youtube
Site de la Naval History and Heritage Command : photographies et archives de l’US Navy
S. Estall, “Bora Bora expertise son histoire américaine“, Tahiti Infos, 20 novembre 2020.
J.C. Shigetomi, “Bobcats, les Américains à Bora Bora“, Tahiti Infos, 27 septembre 2021.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Yacine Benhalima (16 juillet 2024). Retour de Bora Bora : sur les traces des vestiges de la Seconde Guerre mondiale. La pirogue et le fusil. Consulté le 11 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1253f
